Être hébergé chez des chiliens a plusieurs reprise nous a permis de parler de nombreuses fois de ce qui s’est passé récemment de l’histoire du Chili, grosso modo à partir de 1970 et jusqu’à la fin de la dictature de Pinochet au début des années 90. On a ainsi pu avoir différents points de vue et des informations différentes et complémentaires, car c’est un sujet qui tient beaucoup à coeur aux chiliens et qui a eu une influence majeure sur le Chili actuel. On trouvait intéressant de partager avec vous ce qu’on a compris de ce pan de l’histoire.
Salvador Allende, mèdecin à l’origine, devient le 4 septembre 1970 le premier président socialiste élu démocratiquement. Ca n’est pas arrivé d’un coup, il a longtemps été actif dans le parti socialiste (dont il a participé à la fondation au Chili), et il a échoué 3 fois avant d’être élu comme président.
En 70, quand il est élu, c’est entre autres car les états unis ont raté le coche. En pleine guerre froide, ils ne voulaient surtout pas d’un président socialiste en Amérique du sud, des fois que ça lance une mode. Mais dans leur veille politique ils ont sous-estimé les chances de victoire d’Allende qui a remporté le premier tour. Ils ont alors tenté d’empêcher son élection en investissant beaucoup d’énergie pour orienter le résultat final, mais c’était trop tard.
Le gouvernement d’Allende a tenté de mettre en place un État socialiste de façon non-violente et légale, la « voie chilienne vers le socialisme » (« La via chilena al socialismo »). C’est une des grandes différences avec par exemple ce qui s’est passé à Cuba, où Fidel Castro a tenté de faire pareil mais par la force.
Il récupère un pays en ruine, et met en place rapidement plusieurs choses, dont :
- donner à manger aux enfants qui vont à l’école. Beaucoup enfants n’allaient pas à l’école : ceux qui pouvaient pas manger devaient plutôt travailler pour avoir de quoi se nourrir. En leur offrant du lait (1/2 litre par enfant et par jour), richement calorique, il leur a permis à la fois de se nourrir, et par ricochet, d’aller à l’école.
- nationaliser de nombreuses entreprises, notamment celles de l’industrie du cuivre. Le cuivre, première richesse du pays, appartenait à des industries privées qui gagnaient énormément d’argent. Il a décidé de changer les choses afin de pouvoir mieux redistribuer les richesses au sein du pays, notamment en leur demandant de nouvelles taxes rétroactives.
- une tentative de réforme agraire : il a limité la surface maximale des terres. Ceux qui avaient des terres plus grandes sont devenues la propriété de l’état qui les a alors redistribué.
Inutile de dire qu’avec des réformes pareils, il ne s’est pas fait que des potes, surtout chez les plus riches. En plus de cela, Nixon, dès son élection en 1970, voyait d’un très mauvaise oeil un gouvernement socialiste (« Je ne vois pas pourquoi il faudrait s’arrêter et regarder un pays devenir communiste à cause de l’irresponsabilité de son peuple. »), et avait décider de faire « saigner l’économie du Chili », toujours selon ses propres mots.
Le 23 août 1973, Allende demande à son ancien général, qu’il avait placé au ministère de l’intérieur, une recommandation pour choisir un nouveau général. Il lui faut quelqu’un de solide, car il a peur d’un coup d’état de la part de ses opposants, notamment certains hauts gradés dans l’armée. On lui conseille Augusto Pinochet, qui a toujours été loyal, et a même enrayé une rébellion en juin 1973. Autre trait de personnalité qui convainc Allende, c’est un type réputé ni très intelligent, ni très courageux. Ce n’est pas forcément le meilleur exemple, mais à ce moment là, c’est un type parfait pour diriger les armées sans faire de vagues.
Le 11 septembre, 3 semaines plus tard, Pinochet déclenche un coup d’état. Allende arrive à la Moneda le matin, et on le somme de quitter le bâtiment qui va être attaqué. Il décide de rester, même s’il doit pour cela y laisser la vie. Il a à peine le temps de faire un discours sur la seule radio encore en fonctionnement, radio Magallanes. A la fin du discours, on entend les bombes larguées par les avions qui commencent à faire exploser le bâtiment. On peut lire sa traduction ou, plus dramatique, écouter une [version sous-titrés sur youtube])(https://www.youtube.com/watch?v=ufHIrEEl0_o)
Il y a plusieurs théories sur la mort d’Allende (suicide, assassinat durant le coup d’état ou alors il aurait été tué par son garde du corps plutôt que se faire prendre ?), car c’est un sujet qui tient à coeur aux chiliens. Cependant la dernière autopsie conclut au suicide, réalisé avec une AK-47 qui lui avait été offerte par Fidel Castro, et sur laquelle il est écrit « À mon bon ami Salvador, de la part de Fidel, qui essaye par des moyens différents d’atteindre les mêmes buts ». Comme c’est quand même vachement démonstratif comme manière de partir, on comprend facilement qu’il y ait des doutes malgré les nombreuses autopsies.
Ce coup d’état renverse le gouvernement et instaure immédiatement une dictature militaire : à 18h le jour même est instauré un couvre feu. Dans les jours qui suivent, il commence à y avoir des arrestations massives. Commence une chasse aux sorcières qui n’en finira plus : il faut éliminer les opposants trop dangereux, c’est à dire les sympathisants socialistes.
Les horreurs de la dictature sont difficiles à dénombrer, car les atteintes au droits de l’homme sont devenues monnaie courante. Dans sa chasse aux sorcières, le régime crée une police politique, la DINA, chargée, entre autres, de s’occuper des opposants.
Selon les rapports (Rettig en 1990, Valech en 2004), il aurait été question de 130000 arrestations, d’assassinats et de disparations (2279 personnes) et de tortures (38000 personnes) grâce la mise en place d’un millier de centres de torture dans tout le pays.
Ce n’étaient pas des enfants de coeur. Pour donner un ordre d’idée, la DINA a par exemple organisé des « vols de la mort« , où on larguait les opposants, depuis un hélicoptère, dans l’atlantique, après les avoir drogué et leur avoir bandé les yeux.
Beaucoup d’intellectuels et d’opposants politiques ont donc été contraints à l’exil (les estimations parlent de 250000 personnes à un million), mais même dans ce cas là, certains ont été retrouvés à l’étranger (opération Condor, en coopération avec l’Argentine).
Inutile de dire aussi que les journaux ont eu un rôle complice pour propager les idées et les informations modifiées ou carrément inventées par le gouvernement.
En parallèle de la dictature, un autre aspect important de la dictature de Pinochet est particulièrement important : son économie.
Dès le 14 septembre 1973, les « chicago boys » deviennent les conseillers économiques du pays. Il s’agit d’un groupe de personne qui ont suivi un cursus avec l’université de Chicago, et qui ont cherché à mettre en place au Chili ce qu’ils y ont appris, à savoir de nouvelles stratégies économiques, celle de l’école de pensée économique de Chicago. Avec un peu de cynisme, on pourrait commenter ce comportement en disant que le Chili a servi de zone de test pour les techniques économiques américaines (hé non, ce n’est pas de moi. D’ailleurs, certains économistes ont qualifié le Chili de meilleur élève sud-américain des états unis). Les Chicago Boys font partie de ceux qui soutiennent publiquement les dérives du gouvernement, car cela leur permet d’être dans une situation de contrôle total : syndicats indépendants et opposition politique réprimés, destruction de la gauche (par l’arrestation, l’assassinat, ou l’expulsion de ses militants). Ils ont un contrôle sur les salaires, la politique fiscale et monétaire, les taux de change et les statistiques et atout non négligeable, un contact direct avec Pinochet qui monopolise le pouvoir politique. Ils implémente une doctrine néo-libérale, c’est à dire en gros le libéralisme (favoriser le commerce et le développement des entreprises) avec en plus la recherche de réduction des taxes pour les entreprises, la simplification des règles de libre échange.
Jusqu’en 1983, on parle du « miracle chilien » pour décrire l’économie du pays, mais après le premier krach en 82, le bilan est plus mitigé. Les Chicago Boys ont disparu du pouvoir avec Pinochet en 90. Les inégalités et la pauvreté s’accrurent au Chili, malgré de grands taux de croissance atteints à la fin des années 1970 et à nouveau dans la seconde moitié des années 1980. Aujourd’hui, le paradoxe Chilien, c’est d’avoir un pays avec un PIB élevé (donc celui d’un pays en apparence riche) mais de nombreux habitants qui vivent dans la pauvreté. C’est visible dans tout le pays sans effort. A Santiago, il suffit de se balader dans les rues en s’éloignant un peu du centre.
Pinochet va gouverner jusqu’au 11 mars 1990. En 1978, il est condamné par l’ONU pour non-respect des droits de l’homme. Alors pour prouver sa légitimité en tant que dirigeant aux yeux du monde, il organise un plébiscite, demandant aux votants s’ils soutiennent ou non la présence de Pinochet « dans sa défense de la dignité du Chili ». C’est une parodie de vote. On coupe un coin de la carte des votants pour savoir qui a voté (allez savoir, des fois qu’on ai besoin de réprimer ceux qui n’ont pas voté). Le vote est orienté jusque dans les bulletins : sur les bulletins de vote, le oui est un drapeau chilien, et le non est un drapeau noir. Pinochet obtient 75% de oui, qui aurait crû qu’il était si populaire !
Pinochet quitte donc finalement le pouvoir en 90, mais reste jusqu’en 1998 comme commandant en chef des armées, puis sénateur à vie. Il a fait changer la constitution à son avantage juste avant de rendre les clés, histoire d’avoir un statut important et d’éviter deux-trois soucis avec la justice. Et donc, dès 1990, le rapport Rettig révèle les atteintes aux droits de l’homme, mais Pinochet n’est pas jugé. Il part se planquer à Londres, là bas on l’aime bien (il était très copain avec Margaret Thatcher). Quelques complications politiques internationales, puis plaider la maladie, puis la sénilité lui permettent d’éviter la prison sans être jamais se faire juger jusqu’à son décès fin 2006, à 91 ans. Le jour où on fera une compétition des plus grandes enflures de l’histoire, il ne faudra pas oublier de faire un bulletin pour celui-là hein.